Abraham-Adolphe Sokolski (1898-1967 ) et Sosia Sokolski-Gruszka (1918-1942)

Jacqueline Sokolski (1936-1942), Arlette Sokolski (1938-1942) et Francine Sokolski (1939-1942)

« Monsieur Adolphe » comme le surnommaient les ouvrières de l’usine Cousineau de Douai, était un Douaisien d’origine polonaise, né à Varsovie et devenu français. Comme de nombreux Polonais juifs, il avait fui, dans les années 20, la violence de l’antisémitisme polonais pour s’installer en France, patrie pour lui de la démocratie et de la liberté. Il avait quitté seul sa mère, Tauba, veuve de Moïse, et ses 4 frères Menahem, Majer, Boruch et Icchok, s’arrêtant d’abord à Dantzig pour être docker, puis à Charleroi où il finit son apprentissage de tailleur, avant d’arriver à Lille. A chacune de ces étapes, il envoyait de l’argent à sa famille restée à Varsovie. Devenu tailleur, il devint un militant d’organisations révolutionnaires trotskistes, revendiquant son athéisme, et épousa une jeune française, Denise Castelin, le 10 mai 1924, à Marcq-en-Baroeul. Le jeune couple respirait la joie de vivre ; Adolphe était un jeune homme extraverti au charisme naturel, apprécié par les ouvriers avec qui il travaillait. Mais ils divorcèrent, sans avoir eu d’enfants.

     Il rencontra ensuite Sosia, qu’il épousa en mai 1936 à Lille, et s’établit à Douai où il travaillait comme chef d’atelier dans une usine textile importante installée rue Giroud. Ils eurent 3 filles avec lesquelles ils habitaient une petite maison, à deux pas de l’usine Cousineau, rue du Champ fleuri. Adolphe aimait créer des vêtements pour ses filles, qui étaient souvent habillées avec les mêmes tissus et les mêmes modèles. Il était d’une nature énergique, aimait nager, était apprécié pour son humour et sa joie de vivre. Il aimait emmener sa famille se détendre, souvent avec des amis, sur les plages du Nord. Ses trois filles étaient des enfants calmes et enjouées, et l’aînée, Jacqueline, scolarisée, était une très bonne élève. Dès 1940, alors qu’elle était en classe « enfantine » au lycée de jeunes filles de Douai, elle avait reçu un « Satisfecit » pour son travail. Et, alors qu’elle était en onzième en 1941-42, elle avait reçu le Tableau d’honneur, avec un premier prix en lecture et récitation.

Sosia, Jacqueline, Arlette et
Francine, devant leur maison
Collection privée de C.Sokolski

A la déclaration de guerre, en septembre 1939, Adolphe s’engagea dans la Légion étrangère, mais les besoins en uniformes de la « Drôle de guerre » firent que l’armée française le renvoya à Douai. Dès l’arrivée de Pétain au pouvoir, en 1940, il fut déchu de sa nationalité française, comme des milliers d’étrangers naturalisés après 1927. Puis, en juin 1941, il fut dénoncé et désigné comme « otage bolchevik » juif par les autorités allemandes qui l’internèrent en Belgique, au fort d’Huy. Relâché en mars 1942, il rentra à Douai.

Adolphe et Sosia,
  Collection privée de C.Sokolski

     C’est à leur domicile que, à 4 heures du matin le 11 septembre 1942, Adolphe, Sosia, Jacqueline, Arlette et Francine furent arrêtés par des gendarmes allemands, épaulés par des policiers français. Après un long temps d’attente à la gare de Douai, ils furent transférés au camp de Malines, en Belgique. Le convoi qui les transporta à Auschwitz portait le numéro 10 (X), et ils y arrivèrent le 17 septembre. Sosia, Jacqueline, Arlette et Francine furent immédiatement assassinées, parce que nées juives, dans l’une des chambres à gaz. Adolphe, retenu pour les travaux forcés, intégra des commandos du camp. Il survécut, avec le matricule 64095, jusqu’en août 1944, date à laquelle il fut transféré à Dachau. Libéré par l’armée américaine, il rentra à Douai en train, en mai 1945.

Francine, Arlette et Jacqueline Sokolski
Collection privée de C.Sokolski

     Il retrouva alors ses fonctions chez Cousineau, mais sur le site de Lille, encaissant un rythme de travail intense, et ne retrouva la nationalité française qu’en 1947.  Il rencontra alors une déportée, Tauba-Thérèse Izraelska, elle aussi née à Varsovie, qui travaillait sur les marchés, et ils se marièrent. Ils eurent un fils, Claude, à qui son père ne parla jamais de sa déportation. En fait, Claude Sokolski n’apprit qu’à la mort de son père que celui-ci avait eu des enfants avant la guerre, et qu’il avait survécu aux camps nazis. Depuis son retour de camp, Adolphe souffrait intensément du dos, en raison des coups qu’il avait reçus pendant sa déportation, et d’autres pathologies ; il déménagea pour sa retraite à Menton avec sa femme et son fils. Il y est mort en 1967.

Sources :

  • Entretiens avec C.Sokolski, enregistrés par M.Heddebaut
  • Article de D.Laboux, dans la revue Tsafon, n°79, 2020 : « La famille Sokolski »
  • Archives d’Auschwitz
  • Archives municipales de Marcq-en-Baroeul

Laisser un commentaire